Va-t-on envoyer les experts-comptables sauver les entreprises avec des feuilles Excel ?
Tous l’avouent : la trésorerie est le sujet numéro des entreprises dans le monde entier !
Je répète et je traduis :
Alors effectivement, quand j’entends ici et là des personnes influentes proposer aux experts comptables une feuille Excel pour monter des prévisionnels et simuler la trésorerie future de leurs clients, je m’interroge ?
Et j’hésite entre inconscience et incompétence…
Je vais certes encore me faire des amis, aussi vais-je expliquer mon coup de gueule matinal.
Un expert-comptable avec une feuille Excel…
…c’est comme un médecin sans masque face des patients infectés au coronavirus
…comme une caissière de supermarché sans protection plexiglass
…comme un policier dans la rue et au contact du public sans aucune protection.
C’est dangereux pour ses clients et c’est dangereux pour l’expert-comptable et pour son cabinet !
Pourquoi c’est dangereux pour ses clients
Regardons les faits en face.
Que se passe-t-il depuis maintenant plus de 15 jours ?
L’enjeu majeur, dont sont conscients tous les gouvernements du monde, c’est de sauver à court terme les entreprises de la faillite tout en leur permettant de conserver leurs personnels.
Ceci afin de permettre à l’économie de redémarrer dès la fin de la crise sanitaire.
Fin dont personne ne peut sérieusement prédire la date…
Mais à juste titre, il faut à tout prix éviter un effondrement économique et financier mondial.
Rien que çà.
Le Président de la République l’a martelé : « nous sommes en guerre ! »…
Alors oui, les experts comptables sont sur le pont à 200% pour aider leurs clients à repousser leur URSSAF, à demander du chômage à partiel, à décrocher un prêt PGE etc. etc.
Les collaborateurs comptables, les équipes du social… tout le monde est sur le pont, confiné en télé-travail mais actif le plus souvent. Tous bossent dur incontestablement.
Ce travail risque bien de prendre 1 mois minimum à chaque expert-comptable. Peut-être plus…
C’est la première phase de l’histoire mais la deuxième arrive tout de suite derrière.
Beaucoup de chefs d’entreprise – pour sauver leur entreprise (ou se procurer de la sécurité) – vont devoir décrocher des prêts PGE : faute de bilans récents (et pour cause), ils vont devoir remettre des prévisionnels à leur banquier.
Banquier qui sera partiellement garant de la solvabilité de ses clients, à hauteur de 10 à 30% (l’Etat via BPI France garantissant 70 à 90%).
Tout en restant à prix coûtant et au détriment de produits financiers plus avantageux. Espérons au passage que les derniers stress tests ont été solides…
Comme nous le disions hier, les banquiers vont donc demander – a minima – les derniers bilans clos de leurs clients demandeurs du PGE, mais aussi en complément des prévisionnels.
Ils auront le plus souvent des prévisionnels d’exploitation : mais ce qu’il leur faut en réalité, ce sont des prévisionnels de trésorerie avec des simulations d’hypothèses de sortie de crise.
Et surtout avec un suivi de cette trésorerie.
Peut-on faire cela rapidement (avec des simulations) dans un tableur ? NON.
Peut-on mettre en place un véritable suivi de trésorerie avec un tableur ? NON.
Peut-on faire en sorte que ce suivi soit automatisé et dynamique avec un tableur ? NON.
Les experts-comptables ont-ils actuellement la possibilité (peuvent-ils se permettre le luxe ?) de perdre du temps avec un travail quasi impossible ou très approximatif réalisé dans un tableur ? NON.
Non. Non. Non. Et NON !…
Mais au fait, pourquoi une courbe de trésorerie prévisionnelle « dynamique » me direz-vous ?
C’est simple, se tromper de 10.000 euros dans la prévision de trésorerie d’une TPE, c’est potentiellement (et concrètement) toute la différence entre la survie et la faillite, conséquence d’un interdit bancaire et de ses impacts…
Or on sait bien que les imprévus dans les flux de trésorerie d’une société sont légion !
Une charge imprévue et trois clients qui ne paient pas, suffisent à déstabiliser la trésorerie déjà tendue de beaucoup de TPE notamment dans une activité BtoB.
Donner une escopette aux experts-comptables là où l’ennemi est équipé de blindés et de mitrailleuses, c’est envoyer ses troupes à l’abattoir !
Par ailleurs, des dizaines de chefs d’entreprises qui nous appellent en direct :
- Témoignent d’un besoin crucial de visibilité
- Ne comprennent pas pourquoi leur expert-comptable ne les aide pas sur la trésorerie.
Explications.
1/ Ils ont besoin de visibilité :
C’est une évidence, passés les trois premiers mois de gestion de l’urgence, les entreprises vont s’endetter à hauteur de 20 à 50% de leur chiffre d’affaires annuel. Rien que çà !
Et il faudra rembourser… ou déposer le bilan.
Le choix est là. Ni plus, ni moins…
Une courbe de trésorerie prévisionnelle avec une gestion dynamique devient alors vitale.
Et elle doit être automatisée au maximum sinon c’est intenable rapidement.
2/ Ils ne comprennent pas pourquoi leur expert-comptable ne les aide pas sur la trésorerie
La Profession Comptable ne s’est jamais emparée du sujet ou à très peu d’exceptions près.
Nous connaissons une poignée de cabinets qui a pris les devants, ils sont rares actuellement.
Et nous ne parlons pas :
- D’un tableau de bord à l’ancienne derrière la compta
- D’un simple échéancier clients et fournisseurs
- D’un outil de pré-compta avec trésorerie instantanée équipé de quelques camemberts.
Nous parlons d’une prévision sérieuse avec réactualisation fréquente.
Nous parlons de quelque chose de très précis suivi au jour le jour ou a minima à la semaine !
Certes pour beaucoup de TPE, c’est impossible sauf à recourir à l’externalisation administrative pour se faire aider.
Nous sommes extrêmement surpris de rencontrer des PME de plusieurs milliers de salariés avec parfois un CA supérieur à 100 millions d’euros n’avoir aucun outil ni aucune proposition de leur commissaire aux comptes (ils n’ont déjà plus d’expert-comptable à cette taille).
Ce qui est frappant, c’est que dans cette crise, les experts-comptables et les commissaires aux comptes interviendront :
- au début de la chaîne : aider les clients à se sauver
- au bout de la chaîne : assister les clients en cas de difficulté puis gérer des procédures collectives…et la fin de vie de l’entreprise (soit quand c’est trop tard)…
…mais rien au milieu !
Car la comptabilité générale N’EST PAS UN OUTIL DE PILOTAGE… alors que c’est de CA DONT ONT BESOIN LES ENTREPRISES aujourd’hui !
Même des petites sociétés.
A notre grande surprise, plus de 40% des demandes qui nous sont adressées sur nos outils de trésorerie émanent de sociétés de moins de 5 salariés !
Pourquoi c’est dangereux pour l’expert-comptable et pour son cabinet
Oui, beaucoup d’experts-comptables accompagnent leurs clients dans l’urgence, souvent sans même une perspective de facturer ce service pourtant vital : admirables !
Ils sont déjà morts de fatigue et inquiets pour leur période fiscale qui vient de prendre déjà près d’un mois de retard. Certains de nos amis experts-comptables dans les régions les plus touchées ont contracté le coronavirus. Un mois de plus perdu… si tout va bien ?
Et ce n’est pas fini…
Mais ce qui est plus grave : à l’insatisfaction de bien des clients, se greffe le danger dans lesquels les cabinets se mettent pour les mois et les années qui viennent.
Que va-t-il se passer ?
Phase 1 : La période fiscale va voir exploser ses délais, probablement jusqu’à l’orée du Congrès de Bordeaux.
Des demandes de report sont déjà largement dans les tuyaux, ces délais actuellement déjà négociés seront fort probablement insuffisants et encore repoussés.
Avec toutes les impacts connus :
- Equipes stressées et démotivées
- Experts-comptables épuisés
- Petits cabinets encore plus fragilisés
- Clients insatisfaits face à une indisponibilité importante de leur conseil n°1…
Et avec toutes les conséquences que je vous laisse supposer sur l’attractivité des cabinets et la santé des personnels et des dirigeants. Et celle des cabinets…
D’aucuns souligneront voire dénonceront mon « pessimisme » ou mon « opportunisme » habituel : attendons de voir… Nous ferons les comptes dans 6 mois/1 an.
Certains patrons de cabinet m’ont déjà fait part de leur volonté de réorienter sérieusement la stratégie de leur cabinet… voire plus radicalement celle de leur carrière.
Phase 2 : les premiers impayés commencent déjà sur un encours clients souvent pléthorique (110 à 120 jours en moyenne dans les cabinets).
Le comptable ne sera pas le fournisseur payé en premier. Chacun le sait…
Pour les cabinets qui se font majoritairement régler par chèque ou par virement, le risque est aggravé. L’allègement de l’ouverture des bureaux de poste et de la distribution du courrier ne va pas arranger les choses…
Phase 3 : les clients les plus fragiles vont tomber rapidement, emportant avec eux des factures impayées et les honoraires récurrents de leur dossier.
Les entreprises les plus solides vont demander des reports de paiement voire négocier leurs honoraires millésimés 2021.
Les moins satisfaites de leur cabinet actuel vont en changer.
C’est probablement parti pour cinq ans de plus…
Si la conjoncture économique reste médiocre, ce qui est plausible après une telle crise (la confiance ne reviendra pas en trois mois), alors ce sera compliqué pour un certain pourcentage d’entre elles. Impayés, négociations et faillites à la clé…
Phase 5 : la guerre des prix va faire rage dès le second semestre 2020 et en 2021, bien plus qu’en 2009 ou depuis la perte des CAC/PE.
Seuls les cabinets les plus structurés, les plus dynamiques commercialement et/ou les mieux organisés et gérés, résisteront.
En 2009, certains cabinets ont perdu jusqu’à 25% de leur CA : on peut penser que sur la période 2020/2021, cela pourrait être pire pour certains…
Les cabinets sont déjà bousculés depuis quelques années : offres low-cost, dématérialisation accélérée, retour des CAC sur l’expertise comptable, pénurie de collaborateurs, impact de l’Intelligence Artificielle qui robotise de plus en plus la production, multiplication des prélèvements à la source par l’Etat, crises sociales qui fragilisent certains commerces…
On va être loin des discours positifs convenus (et politiquement corrects) des vendeurs d’optimisme béat… Les soldats sont fatigués !
Les plus visionnaires et les plus dynamiques parmi les cabinets vont aller beaucoup mieux : nous voyons des croissances à deux chiffres sans la moindre croissance externe !
Pour la plupart, il va falloir batailler pour seulement rester à flot, paradoxalement le travail ne va pas manquer, c’est le chiffre et la rentabilité qui vont en pâtir. Et encore la productivité, paradoxalement…
Mais les cabinets les plus petits et les plus faibles vont souffrir et disparaître… Avec 80 à 85% de cabinets de moins de 10 collaborateurs, il y a de quoi s’inquiéter.